Les Cousins et Cousines

Auteurs : anonyme
Parodie de : Les Danaïdes de du Roullet et Salieri
Représentation : Inconnu
Source : ms. BnF, fr. 9260
Anonyme

Les Cousins et cousines


Comédie en cinq actes, parodie des Danaïdes


BnF ms. fr. 9260

Acteurs


Le Grave, père de cinquante filles
Lulu, aînée des filles
Les quarante-neufs autres filles, en chœur
Le Grand, aîné des cinquante neveux de Le Grave
Les quarante-neufs autres garçons, en chœur
La scène se passe à la campagne, dans un château sur les bords de la mer.

Les Cousins et cousines


Acte i

Le théâtre représente une salle.

Scène i

Le Grave entrant avec précipitation

Mes filles, mes chères filles, venez, accourez ! C’est moi, c’est votre père qui vous appelle.


Scène ii

Le Grave, les cinquante filles

le grave

J’ai une grande nouvelle à vous apprendre. Vos futurs époux, vos cinquante cousins... ils arrivent.


Du haut de ma tour, je les ai aperçus dans la plaine. Courons, volons à leur rencontre ! Mes filles, suivez-moi, suivez votre père : il vous commande, obéissez. Ah çà ! Mais où logerons-nous ces cinquante drôles ? Je n’y pensais plus ; dans vos lits. Allons, sortons.


les cinquante garcons, entrent aussitôt en s’écriant

Bonjour, tonton. Bonjour, cousines.


Scène iii

Le Grave, les cinquante filles, les cinquante garçons

le grave

Eh, vous voilà ! Comment vous portez-vous ? Et le


papa, comment va-t-il ?


le grand, lui donnant une lettre

Voici une lettre de sa part.


le grave

Donne. En attendant, embrassez vos cousines.


les garçons

Très volontiers.


le grave, lisant sa lettre tout haut
\emph Je t’envoie, mon très cher frère, mes cinquante fils uniques. Je te prie d’en avoir soin comme de tes propres enfants. Considère que ce sont mes seuls rejetons, toutes mes espérances. Si tu juges à propos de leur faire épouser tes cinquante filles, tu le feras, comme tu voudras. N’aille pas te gêner. Adieu, mon très cher frère, je t’embrasse, oui, je t’embrasse de tout mon cœur. Post scriptum. Celui qui te remettra cette lettre, est l’aîné de tous. Il se nomme Le Grand et tu verras que ce n’est pas sans raison, car il est de belle taille. Il pourra, si tu veux, te donner la nomenclature de tous ses frères et t’appliquer leur âge et leur rang de naissance. Adieu.

Le bon frère ! À Le Grand. C’est donc toi qui es l’aîné ?


le grand

Oui, mon tonton, prêt à vous faire mes obéissances.


le grave

Je m’en étais douté. C’est aussi pour cela que je me suis adressé à toi pour parler, par préférence à tout autre. Je l’ai aussi connu à ton esprit et je suis sûr que tu as, comme dit le proverbe, emporté tout l’esprit de la maison. Mais parlons de choses plus intéressantes. Il faut vous marier mes chers enfants ! Oui, mariez-vous. Mes cinquante filles, épousez vos cinquante cousins ! Que l’aîné prenne l’aînée, le cadet, la cadette, ainsi de suite jusqu’aux cinquantièmes. Le voulez-vous ? Que les garçons répondent les premiers.


les garçons

Oui.


le grave

Et vous, mes chères filles, parlez, le voulez-vous ?


les filles

Oui.


le grave

Eh bien, mettez-vous à genoux que je vous bénisse. Les garçons et filles s’inclinent. Allez, soyez heureux. \did À Le Grand. Tiens, toi, grand garçon, voilà mon bijou, mon trésor, ma fille aînée, ma Lulu. Je te la recommande. Prends-y bien garde.


le grand

Ah ! Ne portez pas peine, tonton. Et toi, tu m’aimeras bien, cousine, ma femme ?


lulu

De tout mon cœur, cousin, mon mari.


le grand

Allons, chantons.


lulu

Il a raison, c’est bien dit.


le grave

Tous ensemble, ça sera plus gai.


tous en chœur, ensemble

Air : La meunière


Oui, nous jurons de nous aimer
Et de vivre ensemble
Quand l’amour a su nous charmer,
Il saura bien nous enflammer !
Sa main nous rassemble
Pour nous enfermer.

Acte ii


Scène i

Quarante-neufs filles et quarante-neufs garçons

une fille

Nous n’avons pas encore dansé et cela est nécessaire pour bien consommer le mariage.


un garçon

Oui, parce que la danse en agitant le corps excite les esprits animaux, les nerfs optiques, les fibres tendantes, et ainsi en chaleur, le marié a plus d’ardeur pour vaquer à ses affaires.


une fille

Mais nous avons déjà dansé.


un garçon

Un peu, très peu ; ce n’est pas assez.


une fille

Et, d’ailleurs, que ferions-nous ?


un garçon

C’est vrai. Faisons comme à l’opéra. Commence-t-on à s’ennuyer, on danse. N’a-t-on plus rien à dire, on danse ; ne sait-on que faire, on danse.


une fille

Et pour s’ennuyer, qu’y fait-on ?


un garçon

On danse.


une fille

Que fait-on encore ?


un garçon

On danse.


une fille

Et bien, dansons. Ce sera beau, puisque nous ferons comme à l’Opéra.


un garçon

Oui, mais pour danser, il nous faut des instruments et où les prendrons-nous ? Ah, voilà papa, notre frère et notre sœur.


Scène ii

Le Grave, Le Grand, Lulu et les précédents

une fille

Pourquoi, petit papa, venez-vous si tard ?


le grave

Pourquoi ? Pour vous donner le temps de finir la première scène et j’arrive pour commencer la seconde.


un garçon

C’est arrivé fort à propos ; un peu plus tard vous l’auriez trouvée faite, car nous allions envoyer quelqu’un nous quérir les ménestriers ; et vous savez que dans une pièce, l’entrée, la sortie, tout compte.


le grave, le regardant

Ah ! Il n’est pas si sot que je croyais. Eh bien, mes enfants, dansez, que je ne vous gêne pas.


une fille, à un garçon

Va-t-en donc chercher les violons.


le grave

Aussi bien ça fera une autre scène. Vous une, moi une autre, lui la troisième, les violons la quatrième... En voilà bien assez pour un acte. Cours et reviens vite, car si tu restais longtemps, nous nous trouverions embarrassés.


un garçon

Je vais mettre mes sabots, mes jambes à mon col.


Scène iii

Les précédents excepté un garçon

le grave

Ah çà ! Qu’allons nous devenir ? Si nous nous rafraîchissions, nous danserions mieux. Allons buvons un coup.


une fille, donnant des verres à pied

Tenez, faites-en des avocats.


un garçon

Approchez ; je donne de la liqueur visqueuse en abondance.


le grave, à lulu

Et toi, si tu chantais un peu. Voyons comme à l’Opéra.


lulu

Air : Gagne petit,

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Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

Je me félicite
D’avoir un époux
Et mon cœur palpite,
D’un bonheur si doux.
Je brûle, je brûle
De la tête au pied.
Et je suis crédule
Du talon au nez.
le grave

Bravo ! Applaudissons, puisque personne ne veut applaudir. À vous deux à présent, chantez-nous quelque chose de grand, que vous n’entendiez pas, que personne n’entende.


Duo
lulu, le grand au public, ensemble

Air : Malbrough

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Informations sur cet air

Pour vous qu’ici rassemble,
Le désir, le désir qui contemple,
Écoutez tous ensemble
L’amour et l’amitié
Qui tous deux de moitié
Vous font dans cette fête,
Que pour nous, que pour nous on apprête,
Oublier tout le reste
Hormis les mariés.

Scène iv

Les précédents, le garçon accourant avec les ménestriers

le garçon

Voilà les ménestriers.


les filles et les garçons, ensemble

Ah bon, dansons, dansons, amusons-nous.


On danse.
le grave

Je vous laisse dansez et puis retirez-vous.


On danse.

Acte iii


Scène i


le grave, entrant avec ses filles

Mes filles, vous êtes mariées ; et ce n’est pas au badinage ! Vous n’êtes plus en ma puissance, vous dépendez de vos époux. Depuis la tête jusqu’aux pieds, tout ce que vous possédez est le bien de ceux à qui vous avez engagé votre foi. Aussi, il vous faudra faire tout ce que vos maris voudront ; ou au moins vous laisser faire.


les filles, exceptée Lulu

Nous le jurons.


lulu

Et non pas moi.


le grave, à part

Cela ne plait pas à Lulu. Elle est chagrine, il faut la consoler. Haut. Allez mes filles,


allez-vous-en trouver vos maris. Toi Lulu, arrête ; j’ai quelque chose à te dire.


Scène ii

Le Grave, Lulu

le grave

Tu boudes, tu pleures ! Qu’as-tu, qu’as-tu, ma chère fille ?


lulu

Cela n’est-il pas chagrinant. Voilà qu’il me faudra coucher avec un homme ! Et qui plus est lui permettre tout ce qu’il voudra. Et non, mon père, je n’aurai jamais le courage de me déshabiller devant Le Grand.


le grave

Ce n’est que ça ? Va, la pudeur t’aura bientôt passée ! C’est l’affaire d’un quart d’heure pour l’enlever ta fleur virginale et puis plus de rougeur. Au reste, je ne te presse pas. Attends demain, si tu veux, tes sœurs te diront tout ce qui en est et tu verras que la virilité n’est pas un monstre dont il faille s’effrayer. Adieu, ma fille, adieu. Tranquillise-toi et compte toujours sur ton père, comme sur ton ami. J’aimerais mieux coucher moi-même avec toi pour t’accoutumer, plutôt que de forcer tout de suite ton goût. Adieu, baise-moi.


Il l’embrasse et s’en va.
lulu, seule

Tu as beau dire, beau faire, non, je coucherai jamais avec un homme. Plutôt mourir !


Elle sort.

Acte iv


Scène i

Le Grand, Lulu

le grand

Air : Avec les yeux


Ô tendre objet de ma tendresse,
Livrez-vous donc à mes désirs.
Une ardeur brûlante me presse,
Venez, j’ai pour vous des plaisirs.
lulu
Bien obligée de votre flamme ;
Si j’ai froid j’irai me chauffer.
Mais, oui, que le diable me damne,
Si tu parviens à me toucher.
le grand

Air : Mon honneur

Voir la partition
Informations sur cet air

Pourquoi bouder, mon aimable maîtresse,
Pourquoi vouloir ainsi me chagriner ?
Quand dans vos yeux hélas, tout m’intéresse,
Pourquoi, pourquoi... pourquoi vous m’attiner ?
lulu
Mon cher Monsieur, vous êtes bien aimable
Et cependant je ne puis vous aimer.
Tel est l’arrêt du destin immuable,
Tous vos grands mots ne peuvent me charmer.

Scène ii

Le Grace, Le Grand, Lulu

le grand

Papa, vous arrivez fort à propos, votre fille ne veut pas entendre raison. Elle ne veut pas qu’on lui parle d’amour.


le grave

Et pourquoi cela ma fille ?


lulu

Vous le savez mon père.


le grave

Le grand, retire-toi pour un instant. Je vais convertir ta femme, et puis je te la renverrai humble et soumise.


Scène iii

Le Grave et Lulu

le grave

Eh ! bien ma fille, toujours des farces ; aurez-vous bientôt fini de jouer la comédie ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut vous soumettre. Non, partez, allez trouver votre époux. Vite, allez donc.


lulu

Mon père !


le grave

Allez donc vous dis-je.


Lulu sort.

Scène iv

Le Grave

Enfin tout est fini. Ce n’est pas peu de chose qu’un mariage de cent personnes, aussi voilà qui est fait pour longtemps et je n’y reviendrai pas si tôt. Mais je crois que je me suis assez fatigué ! Il faut que je me repose. Oui, je vais me reposer. Cependant j’ai quelque chose qui m’inquiète toujours : savoir comment Lulu s’arrangera avec Le Grand. Comment ? L’amour y pourvoira.


Acte v

Le théâtre représente un jardin. Le Grand est dans le fond étendu sur l’herbe.

Scène i

Le Grand, Lulu

le grand

Air : À ma tendre musette


En vain je vous adore ;
Mon ingrate beauté.
En vain je vous implore
Tu gardes ta fierté.
lulu
J’ai dit, je le répète
Que je ne puis aimer.
Faites autre conquête
Cessez de m’affamer !

Scène ii

Le Grand, Lulu, les garçons et les filles

une fille

La belle chose que le mariage !


un garçon

N’est-ce pas ?


une fille

Oh ! Pour ça oui. Rien de plus joli que ces exercices nocturnes ! Oh ! Je veux me marier dix fois pas jour.


le grand, à Lulu

Entends-tu ?


lulu

Oui.


le grand

Eh bien ?


lulu

Je me rends. Je me livre à ta foi. Guide mes pas dans le sentier d’amour. Le bouton et la rose, Le Grand, tout est à toi.


le grand

Sortons. Dépêchons-nous d’arriver au point où sont tes sœurs. Viens chère amante, la force étincelle dans mes yeux ; un feu divin s’empare de mes membres, la chaleur vivifiante, reproductive, ne demande plus qu’à se communiquer, se... sortons, sortons.


Scène iii

Les garçons et les filles

un garçon

Il fait beau.


une fille

Oui, mais le temps a envie de se brouiller.


un garçon

Eh ! vela qu’il pleut.


une fille

Sauvons-nous !


Comme ils vont pour sortir, ils aperçoivent Le Grand couché.
un garçon

Mais vela, papa qui dort et d’un bon appétit.


une fille

Que faire ?


un garçon

Dansons.


On danse.
un garçon, au public

Mesdames et Messieurs, telle est à peu près la marche de l’opéra qui attire tant de monde. Mariage, danse, serments, rébellion, et pluie ; voilà ce qui a donné matière à cinq actes terribles, horribles. Nous n’avons pas cru pouvoir faire mieux pour parodier le sujet que de le présenter tel qu’il est, nous ayant paru assez risible par lui-même ! Heureux, cent fois heureux, trop heureux, Mesdames et Messieurs, si cherchant à vous amuser nous avons le bonheur de vous plaire et si vous vaquez, comptez pour quelque chose notre zèle et notre respect.



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