Roger Bontemps et Javotte

Auteurs : Archambault (Louis-François) dit Dorvigny
Moline (Pierre-Louis)
Parodie de : Orphée et Eurydice de Moline et Gluck
Date: 13 mai 1775
Représentation : 13 mai 1775 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Paris, Veuve Duchesne, 1775
Pierre-Louis Moline et Louis-François Archambault, dit Dorvigny

Roger Bontemps et Javotte


Parodie d’Orphée et Eurydice, pièce en un acte, mêlée d’ariettes
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi
le samedi 13 Mai 1775
Paris, Duchesne, 1775

Acteurs


Maître Fumeron, maître de Forges : Monsieur Narbonne
Madame Fumeron : Mademoiselle Desglands
Céladon, empirique : Mademoiselle le Fèvre
Roger Bontemps, joueur de vielle : Monsieur Julien
Javotte, femme de Roger-Bontemps : Madame Moulinghen
Guilmino, chef des Forgerons : Monsieur Thomassin
persliste, Messieurs d’Hemeri, Gaillard, de Sormeri et Roussel Premier vielleur et forgerons
Première vielleuse : Mademoiselle Dufayel
Deuxième vielleuse : Mademoiselle Colombe cadette
Troupe de marmottes
Troupe de vielleurs
Troupe de forgerons
Trois suivantes de madame Fumeron
La scène se passe moitié dans les forges, moitié dans les jardins de Fumeron.

Roger Bontemps et Javotte

Le théâtre représente un paysage agréable et lointain d’un côté ; de l’autre, on aperçoit une forge, dont les travaux ne sont pas animés. Une troupe de marmottes garnit le théâtre. Roger sur le devant paraît absorbé dans sa douleur ; il est assis par terre, et appuyé contre un tronc d’arbre ; sa vielle est suspendue en évidence sur le devant du théâtre, avec un bonnet à la Corse.

Scène i

Roger, les marmottes, chœur de marmottes chantant et dansant à la reprise

première marmotte

Air : Elle est morte la vache à Panier

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Informations sur cet air

Quelle perte, pour ce bon Roger !
De sa femme, ne faut plus parler.
seconde marmotte
Faut se consoler,
Ne faut plus pleurer ;
Mais il faut chanter,
Il faut danser,
Il faut chanter.
chœur
Quelle perte, pour ce bon Roger !
De sa femme, ne faut plus parler.

Scène ii

Roger, les vielleurs, camarades de Roger arrivent

premier vielleur, aux marmottes

Eh bien ! Vous autres, qu’y a-t-il de nouveau ?


première marmotte

Ah ! Mon enfant, nous sommes au désespoir.


second vielleur

Au désespoir ! Et vous chantez, vous dansez !


seconde marmotte

C’est pour nous consoler.


premier vielleur

La méthode est nouvelle.


première marmotte

Nouvelle ! Elle est aussi ancienne que l’Opéra.


Air : Ah ! vous en venez, ah ! vous en venez


Dans ce pays c’est l’usage ;
Par un beau chœur, par du tapage,
Tous les chagrins sont dissipés.
les vielleurs
Vous en venez, vous en venez ;
Ah ! je vois bien que vous en venez,
Que vous en venez.
premier vielleur

Mais encore, pourquoi vous chagrinez-vous ?


première marmotte

Pourquoi nous le demander ?


premier vielleur

C’est qu’en nous le disant, tout le monde le saura, et alors on ne sera pas obligé de deviner.


première marmotte

Eh bien ! Mon enfant, apprends que la pauvre Javotte jouait ici de la vielle avec nous ; monsieur Fumeron, le maître des forges, vient de la faire enlever.


second vielleur

Enlever ! Et son mari, le pauvre Roger-Bontemps.


seconde marmotte

Le voilà.


Duo de Mondonville
premier vielleur

Air : Est-il endormi, ton maudit mari


Est-il endormi,
Ce pauvre mari ?
Hélas ! Je le plains bien.
première marmotte
Sa douleur profonde
Lui fait fuir tout le monde.
seconde marmotte
Il n’entend plus rien.
première marmotte
Il ne voit plus rien.
ensemble, ensemble
Pour lui plus de bien,
Et la lumière,
Le désespère.
second vielleur

Mais ne parle-t-il plus ?


première marmotte

Air : Des fraises

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Informations sur cet air

Frappé d’un si grand revers,
Un seul nom il marmotte ;
Il le dit en prose, en vers,
Soit à tort, soit à travers.
roger, s’écriant
Javotte ! Javotte ! Javotte !
première marmotte

Vous voyez, il ne pense qu’à sa femme. Quelle leçon pour les maris !


premier vielleur

Elle ne sera pas suivie.


Air : Des fraises

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Informations sur cet air

On verrait bien de[s] maris
Lui dire qu’il radote,
Quoique l’usage à Paris
Soit de jeter les hauts cris.
roger, s’écriant
Javotte ! Javotte ! Javotte !
première marmotte

Allons, mes amis ; prenons-nous par la main, et dansons une ronde.


Air :


Allons danser sous ces ormeaux.
Animez-vous, jeunes fillettes ;
Allons danser sous ces ormeaux ;
Galants, prenez vos chalumeaux.
roger, se lève et les interrompt

Eh ! Mes amis, mes camarades ! Je vous remercie de la peine et de la fatigue que vous vous donnez pour me consoler ; mais, je vous en prie, ménagez vos voix et vos bras pour la fin de mon aventure, et laissez-moi seul ici.


premier vielleur

Mais quelle fantaisie ! Pourquoi veux-tu rester seul ?


roger

Que fais-je ?.... J’aurai plus de plaisir à me désespérer sans témoins ; et puis, je veux tâcher de me rappeler quelque chanson qui convienne à ma douleur.


premier vielleur

Eh bien ! Mon ami, nous te laissons ; console-toi comme tu pourras ; chante, danse, rêve, désespère-toi, pends-toi même, si tu veux, nous allons t’attendre au cabaret.


Ils se retirent en chantant et en dansant.
chœur
Allons-nous-en, gens de la noce,
Allons-nous-en boire deux coups.

Scène iii

Roger seul

roger

Me pendre, disent-ils ! J’en aurais bonne envie ; je le devrais peut-être ; mais si je débute par-là, je m’ôterai la ressource du dénouement.... Pour gagner du temps, mettons-nous en règle, et commençons par apostropher l’aurore, le jour, la nuit, les forêts, les échos, les parques, les démons et la nature entière. Allons....


Air : Pour héritage, je n’eus de mes parents


Toi que j’adore,
Je te demande au jour ;
Pour toi j’implore
La lune à son retour :
Quand il fait nuit,
Je m’adresse à l’Aurore,
Et je te redemande encore
Quand le Soleil luit.

Hélas ! Javotte est enlevée.


Air : Autrefois à sa maîtresse


Par une vive tendresse,
Tu répondais à mon cœur ;
Javotte, chère maîtresse,
Tu partageais mon ardeur.
Quoi ! Ta beauté, ta jeunesse,
Rien n’a pu te garantir !
Ton époux, dans son ivresse,
N’a pas su te secourir.
Pour le malheur de ma vie,
Tu sais plaire à Fumeron.
Faut-il que tu sois ravie
Par un maudit forgeron ?bis

Mais je m’amuse à chanter, lorsque je dois agir.... Qui m’empêchera d’entrer dans la forge, et d’enlever ma femme à mon tour ? On dit que rien n’est impossible à la musique : elle adoucira les forgerons... Inspire-moi, divin Orphée ! Et si je ne puis les enchanter avec ma vielle, fais du moins que je les endorme.


Scène iv

Roger, Céladon

céladon

Air : La bonne aventure, ô gué

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Informations sur cet air

Pour venir à ton secours,
Je suis hors d’haleine ;
Mon pauvre Roger, j’accours
Pour finir ta peine :
Ton bonheur va commencer,
Déjà je viens t’annoncer
La bonne aventure, ô gué !
La bonne aventure.

Arme-toi de résolution, et mets ta vielle d’accord, c’est d’elle que dépend ta destinée.


roger

Eh ! Qui êtes-vous, pour savoir tout cela ?


céladon

Bon ! J’en sais bien d’autres. Quoique je tombe ici des nues pour toi, je mérite ta confiance. Je protège les amants ; je suis confident né de toutes les intrigues du village. Par la vertu de mes secrets, je fais aimer les plus insensibles ; je rajeunis les vieillards, j’embellis les figures, et je corrige l’influence des planètes.... En un mot, je suis le fameux empirique Céladon.


roger

C’est-à-dire, un grand charlatan.


céladon

À peu près, mon ami. Je suis l’apothicaire des forges, et je viens pour te servir.


roger

Eh bien ! Si vous le savez, apprenez-moi ce que fait ma femme à présent.


céladon

Ta femme est actuellement dans les jardins de monsieur Fumeron ; et comme il aime beaucoup la musique, si tu peux parvenir à l’amuser avec ta vielle, il te rendra ta femme, mais à une condition.


roger

Ah ! Monsieur Céladon, je suis prêt à tout. Dites, quelle condition ?


céladon

C’est que.... Peste du bavard ! J’allais faire une belle sottise ! Ce que c’est que les mauvais exemples ! Apprends, mon ami, que je la sais fort bien ; mais que je ne dois, ni te la dire, ni même la savoir. Va trouver monsieur Fumeron ; c’est à lui à te l’apprendre.


roger

Air : Que ferons-je en mariage,


Mais ce secret n’est pas sage ;
Pourquoi me cacher cela ?
céladon
Je n’en dis pas davantage ;
Mais bientôt on t’instruira,
Je l’imagine ;
Et ce que je ne dis pas,
Le public le devine.
roger

Mais pourquoi cette discrétion.


céladon

Pourquoi ?... C’est pour ne pas éventer le secret. Si je te le disais, il n’y aurait plus d’intérêt pour les autres scènes.


roger

Ah ! Je vous en prie, monsieur Céladon.


céladon

Air : Va-t’en voir s’il viennent, Jean

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Informations sur cet air

Non, tu ne me tiens pas là,
Je saurai me taire.
céladon
Mais est-ce qu’à l’Opéra
L’on en fait mystère ?\footnote Sic : il faut lire \og Roger \fg.
céladon
Va-t’en voir s’il viennent, Jean,
Va-t-en voir s’ils viennent.

Adieu. Je pourrais te débiter ici de jolies maximes d’amour et de délicatesse, quelques petits persifflages à la mode ; mais je réserve cela pour une meilleure occasion. En attendant, compte sur mon secours, tu me reverras en temps et lieu. Entre dans la forge, et si le feu te fait peur,


Il chante.

Air : Robin turelure

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Informations sur cet air

Que dans ce danger pressant,
Ta tendresse te rassure.
L’amour, mon ami Roger,
Turelure,
Est plus fort que la brûlure,
Robin turelure.
Il s’en va.

Scène v

Roger seul

roger

Je vais revoir ma femme, dit-il. Ah ! Cette promesse me rend toute ma gaieté. Chantons encore un peu.


Air :


Dans l’espérance du plaisir,
Il faut d’avance se réjouir, etc.
Il est interrompu par le bruit de la forge, dont les travaux se font entendre, mais à petit bruit d’abord.

Il faut entrer dans la forge, mais ces forgerons qui m’ont enlevé ma femme, sont pis que des démons. S’ils allaient m’assommer.


Air : Vogue la Galère

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Informations sur cet air

Allons, prenons courage :
L’Amour règle mon sort.
Dans le feu, le tapage.
Je veux braver la mort.
Et vogue la galère,
Tant qu’elle, tant qu’elle, tant qu’elle,
Et vogue la galère,
Tant qu’elle pourra voguer.
Il prend sa vielle avec intrépidité, et enfonce son chapeau, puis il porte ses pas vers l’entrée de la forge. Alors le bruit redouble, on entend les coups de marteau, et on voit sortir du feu.

Air : Ciel ! L’Univers,


Ah ! c’en est fait, c’est mon heure dernière.
Quel bruit ! Quels coups ! Quel horrible fracas !
Ah ! C’est pis que le tonnerre
Qui gronde et tombe en éclats !
Je sens la terre
Trembler sous mes pas.

Scène vi

Roger, un forgeron avançant vers Roger

premier forgeron

Air : Aux armes, camarades

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Informations sur cet air

À l’aide, camarades, à l’aide !
Empêchons d’approcher ce ravisseur-là.
À l’aide, camarades, à l’aide !
À Roger.
Toi, coquin, veux-tu bien rester là !
roger

Moi, coquin ! Moi, ravisseur ! Eh, messieurs, je viens vous demander ma femme.


premier forgeron

Ta femme !


Il reprend l’air.
À l’aide, camarades etc.

Scène vii

[Roger], les forgerons accourent avec des marteaux, des barres de fer, des fourches, et autres instruments de forges

roger, à part

Air : Ah ! Te voilà


Ah ! les voilà !
Hélas ! le cœur me bat déjà.
les forgerons
Arrête, fripon.
roger
Eh ! Messieurs, laissez-moi donc.
les forgerons
Non.
roger
Ayez moins de rigueurs.
Laissez-vous attendrir par mes pleurs.
les forgerons
Rien ne peut nous toucher ;
Sors d’ici, garde-toi d’approcher.
roger
Écoutez-moi :
Ne me causez plus tant d’effroi.
Apaisez-vous donc,
Je vais dire une chanson.
les forgerons
Non.
roger

Air : Ah ! vous avez bon air

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Informations sur cet air

Écoutez ma vielle.
premier forgeron
Ah ! la chose est nouvelle.
roger
Écoutez ma vielle,
Vous serez charmés.
second forgeron
Ah ! ah ! vous avez bon air !
Bon air vous avez !
definitacteur, chœur des forgerons chœurdesforgerons
chœurdesforgerons
Ah ! ah ! vous avez bon air !
Bon air vous avez !
Ils dansent autour de lui en chantant.
roger
dont le chant est noté à la fin
Eh ! Messieurs, laissez-vous toucher !
les forgerons
Non.
roger
Mais écoutez un petit air.
les forgerons
Non.
roger
Rendez-moi donc ma femme.
les forgerons
Non.
roger
Par égard pour ma flamme.
les forgerons
Non.
roger
Par pitié.
les forgerons
Non.
roger
Par amitié.
les forgerons
Non.
roger, à part
Le diable les emporte.
Deux forgerons le prennent par les épaules.

Air : J’avais cent francs

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Informations sur cet air

L’ami, crois-moi,
Ne nous fais pas la nique ;
Laisse-là ta musique ;
Va-t-en, retire-toi.
À l’Opéra
Tu pourrais trouver grâce
Par ce secours-là.
Ici, crois-moi,
Mets autre chose en place,
Ou bien c’est fait de toi.
Ils lèvent tous leurs marteaux sur lui et l’entourent avec des gestes menaçants etc.
roger, du ton le plus affectueux

Air : Quand vous entendrez les doux zéphyrs


Hélas ! Laissez-vous donc attendrir
Par les soupirs d’un mari fidèle !
À vos genoux voyez-moi mourir,
Ou rendez-moi ma belle.
Loin de ses yeux,
Tout m’est odieux ;
Je dépéris, je meurs de dépit.
Oui, sans Javotte,
Roger radote,
Il en perd l’esprit.
Hélas ! Laissez, etc.
second forgeron

Oui, voilà bien quelque chose ; tu ne chantes pas mal ; mais ne saurais-tu pas, pour nous achever, quelque petit air de danse ?


roger

Hélas ! Messieurs, ce n’est pas par-là que je brille ; mais, n’importe, je vais essayer.


Il joue l’Allemande-Suisse, pendant laquelle les forgerons font différents gestes d’admiration et de contentement.
premier forgeron

Oh ! Pour le coup, mes amis, il faut nous rendre à cela.


second forgeron

Oui-dà, car s’il nous dit tout ce qu’il sait, il n’aura plus rien à dire à notre maître.


premier forgeron

Viens avec moi, je vais te conduire dans tous les recoins de la forge.


Il rejoue la même Allemande ; tous se mettant à danser, sortent du théâtre, en rentrant par la forge.
\scene[La forge a disparu. Le théâtre représente un jardin. Fumeron entre avec sa femme.] Fumeron, sa femme, Javotte, trois suivantesdont une file avec une quenouille, l’autre tricote, l’autre dévide un rouet
fumeron

Air : Fanfare de Saint-Cloud


Mettons-nous sous cet ombrage,
Pour éviter la chaleur.
madame fumeron, à ses femmes
Portez ici votre ouvrage,
Et respirez la fraîcheur.
Les femmes avancent des chaises.
fumeron
Mais qu’a donc notre marmotte ?
Aurait-elle de l’humeur ?
javotte
Monseigneur, Monseigneur, Monseigneur !
madame fumeron
Va, console-toi, Javotte ;
Mon mari veut ton bonheur.
Madame Fumeron s’assied à côté de son mari. À Javotte.

Allons, ma petite, pour t’égayer, chante-nous quelque chose.


javotte, chante

Air : Poulido Pastourello


Poulido Pastourello,
Perletto mas amous,
Perqué sias-vous tant bello,
Et yeou tant amourous ?
Poulido, etc.

Scène viii

Les susdits, Guilmino accourant

fumeron

Qu’est-ce qu’il y a, Guilmino ? Vous êtes bien échauffé.


guilmino

Air : La petite poste


Ah ! Monseigneur ! Ah ! Monseigneur !
Tout est chez vous dans la rumeur ;
Tous les travaux sont arrêtés,
Les forgerons sont enchantés ;
Un chansonnier, qui vient d’entrer,
Comme des fous les fait danser.

Sa vielle est comme une magie. Le sorcier chante, et le gros dogue reste la gueule béante ; tous les forgerons font chorus ; votre vieux portier bat la mesure, et les femmes de Madame dansent la Fricassée.


On entend du bruit.
madame fumeron

Ah ! Mon ami, ils viennent par ici.


fumeron

Ne craignez rien, ma femme. Guilmino, emmenez Javotte, et veillez sur elle.


Scène ix

Roger entre avec les forgerons, les précédents, troupe de forgerons

chœur, que l’on entend des coulisses

Air :


C’est le meilleur des maris,
Qui vient pour demander sa femme ;
C’est le meilleur des maris,
Qui soit de la Chine à Paris.
fumeron, se levant, dit à Roger

Insolent, viens-tu braver ma colère ?


Air : Jean de la Riole, mon ami


Jean de la Riole, mon ami,
Est-ce que tu ris, est-ce que tu te moques ?
Jean de la Riole, mon ami,
Que viens-tu chercher par ici ?
roger, troublé

Monseigneur !...


fumeron

Eh bien ! Après....


roger

Monseigneur !... Et vous, ma bonne Dame !...


madame fumeron

Que demandez-vous ? Parlez.


roger

Je ne saurais....


fumeron

Dis donc, qui es-tu ?


chœurdesforgerons

Air :


C’est le meilleur des maris,
Qui vient pour demander sa femme ;
C’est le meilleur des maris,
Qui soit de la Chine à Paris.
fumeron, à Roger
Mais dis-moi donc quelque mot.
madame fumeron
Tu restes là comme un sot.
premier forgeron
Mais, parle-leur donc, nigaud.
roger
Je me sens saisir l’âme,
Et je ne peux dire un mot.
chœurdesforgerons
C’est le meilleur des maris,
Qui vient pour demander sa femme ;
C’est le meilleur des maris,
Qui soit de la Chine à Paris.
roger, à Fumeron

Monseigneur, je vous avouerai bonnement que je venais pour chercher ma Javotte ; mais je ne comptais pas avoir affaire à vous ; c’est pourquoi votre présence m’embarrasse.


fumeron

Tu ne comptais pas avoir affaire à moi ! Mais, nigaud, si tu veux ravoir ta femme, il faut bien que nous ayons affaire ensemble, et que ce soit moi


qui te la rende.


roger

Vous avez raison, Monseigneur. Mais on ne peut pas penser à tout.


fumeron

Mauvaise excuse ! Dis plutôt que tu voulais éviter une situation qui t’a paru difficile. Mais, va, je suis bon diable, je ne la ferai pas durer longtemps, et je n’ai paru que pour la forme.... À présent amuse-nous ; et si tu sais encore quelques chansons, voyons, regagne ta Javotte.


roger, avec emphase

Air : Fatal Amour,


Charmant Amour, puissant vainqueur !
Fais-moi rendre l’objet dont dépend mon bonheur.
Fumeron bâille, ainsi que sa femme et les forgerons.
second forgeron, l’interrompant

Tais-toi donc, tu vas l’impatienter. Change de ton.


roger

Bon, bon. Laisse-moi faire.


Air : Du haut en bas

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Informations sur cet air

Rendez-la-moi,
Cette Javotte que tant j’aime ;
Rendez-la-moi,
C’est l’unique objet de ma foi.
Ah ! Par votre bonté suprême,
Pour prix de ma tendresse extrême,
Rendez-la-moi.

Air : Margoton, mon cœur


Ah ! Ma belle Dame, ah ! Mon bon Seigneur,
Écoutez un air flatteur,
Pour vous, pour vous, pour vous remettre,
Écoutez un air flatteur,
Pour vous remettre en belle humeur.

Quand Orphée descendit aux Enfers pour demander sa femme à Pluton, voici ce que le Monarque Ténébreux lui répondit en la lui rendant.


Air : Tous les pas d’un discret amant,


Je crains peu que cette faveur
Puisse tirer à conséquence ;
Tous les maris ont ta douleur,
Mais aucun n’a ton imprudence.
Si, pour imiter ton dessein,
Quelque autre était assez peu sage,
Crois qu’il se perdrait en chemin,
Sans achever le voyage.
madame fumeron, à son mari

Eh bien ! Mon ami,


Air : Vraiment, ma commère, voire

Voir la partition
Informations sur cet air

Vous sentez-vous réjoui ?
fumeron
Vraiment, ma commère, oui.
premier forgeron
S’il le dit, il le faut croire.
chœurdesforgerons
Vraiment, mon compère, voire,
Vraiment, mon compère, oui.
madame fumeron

Comme je n’ai pas de modèle à copier, je ne sais pas ce que je dois dire, mais je sais fort bien ce que j’en pense.


Air : La beauté et la curiosité


D’une sincère ardeur chérir en une belle
Sa beauté ;
En voyant ses appas lui demeurer fidèle,
La rareté !
Mais, sitôt qu’on la perd, recourir après elle,
La curiosité !
fumeron

Mon garçon, je t’accorde ta prière. Je te rends ta femme, emmène-la, mais j’y mets une condition. Si tu jettes un seul regard sur sa personne, tu la perdras aussitôt pour jamais.


roger

Ô Ciel ! Quelle condition barbare ! Autant vaut-il ne me la pas rendre.


fumeron

Je conviens qu’elle est ridicule ; mais je ne fais rien de mon chef, et j’ai la fable pour guide ; ainsi obéis, et ne réplique pas. Venez, ma chère femme, et renvoyons-lui sa Javotte....


Duo
fumeron, en s’en allant

Air : Une Terre, avec moi,


Contraignez les désirs de vos cœurs amoureux ;
Dans le silence
Sortez de ces lieux.
madame fumeron
Ne porte point sur elle un regard curieux ;
Une imprudence
Vous perdrait tous deux.
fumeron
Je veux être obéi, redoute ma vengeance ;
Si tu la regardais,
Tu la reperdrais pour jamais.
Reprise en duo
Contraignez, etc.
chœurdesforgerons
Emmène ta belle,
Décampe avec elle ;
Car Fumeron
N’entendrait pas raison.
Oui, crains sa vengeance ;
La moindre imprudence
À ton amour
Jouerait un mauvais tour.
Ils sortent tous sur la première reprise de l’air de la Chasse de Lagarde.

Scène x

Roger seul

roger

J’en connais qui, dans la position où je me trouve, s’amuseraient à admirer ce jardin, et qui diraient...


Air : Quand vous entendrez


Petits oiseaux, aimables zéphyrs,
Et vous, ruisseaux, dont le doux murmure, etc.

Pour moi, je sens que je ne dois songer qu’à ma femme, et j’oublie tout pour elle.... Elle va m’être rendue !....


Air : Toujours, il est toujours le même


Toujours, toujours, c’est toujours quelque chose ;
À quel danger
L’amour va m’exposer !
Quoi ! De l’envisager,
Pour moi c’est lettre close !
Mais, sans la regarder,
Je pourrai la toucher :
Toujours, toujours, c’est toujours quelque chose.

Scène xi

Roger, Guilmino ramenant Javotte, qui est voilée d’un mouchoir

guilmino, à Roger

Air : Allons, gai, réjouissez-vous


Reçois de moi ta tourterelle,
Tendre tourtereau ;
Et jusqu’au tombeau,
Des bons maris sois le modèle.
Allons, gai, sans plus de façons,
D’ici pars avec elle :
Allons, gai, sans plus de façons,
Tournez les talons.
Il la dévoile, et la lui remet entre les mains. Guilmino sort.

Scène xii

[Javotte, Roger]

javotte

Air : Me promenant près du logis,


Ah ! Te voilà, mon cher mari !
roger
Oui, tu me vois. Je suis ici.
javotte
Mon cher ami !
roger, à part
Je suis saisi, etc.
roger, à part
Ah ! Quel martyre !
Que lui dire ?
Haut.
Viens, n’arrête pas.
javotte, à part
Eh ! Mais d’où vient qu’il soupire ?
roger
Avance donc ; suis mes pas.
javotte
Roger, pour te taire ?
Quel est ce mystère ?
À part.
Ah ! Je crois, ma foi,
Qu’il se rit de moi.
À Roger.
Retourne-toi
Regarde-moi.
roger
Sans différer, sortons d’ici.
javotte, à la reprise
Mon cher ami !
roger
Je suis saisi, etc.
roger, s’éloignant d’elle

Ah ! Morbleu, la terrible chose qu’une défense !


Duo
javotte

Air : Robin turelure

Voir la partition
Informations sur cet air

Mais viens donc, mon cher Roger.
roger, à part
J’ai bien peur de l’aventure.
javotte
Mon ami, viens m’embrasser.
roger
Turelure.
Cache-moi bien ta figure.
javotte
Ah ! Quel affront ! Quelle injure !

Air : Sur un sofa


Quelle douleur !
Cette froideur
Me fend le cœur.
Ingrat, j’aime mieux
Que tu me laisses en ces lieux.
roger
Dieux !
Duo
javotte

Air : Tot, carabo


Au nom de ma tendresse,
Tourne les yeux ici,
Mon ami.
roger
Ah ! Ma chère maîtresse,
D’honneur je ne puis.
À part.
Quel ennui !
Ah ! Si je l’osais,
Si je le pouvais,
Roger, ton bon ami,
Te laîrait-il \iter mourir ?
javotte
C’est une maladresse
De t’excuser ainsi,
Cher ami.
roger
C’est pour suivre la pièce,
Où l’on a pris ceci,
Je te dis ;
Ah ! Si je l’osais,
Si je le pouvais,
Roger, ton cher ami,
deuxcol,
roger
Te laîrait-il \iter mourir ?
javotte
Me laîrait-il \iter mourir ?
javotte

Tu ne veux donc pas m’en dire davantage ?


roger

Écoute, Javotte : il est bien vrai que je pourrais te tranquilliser d’un seul mot ; mais je ne le veux pas. C’est à toi à te dire : oui-dà ! Il faut qu’il y ait un secret là-dessous, que Roger est forcé de me cacher, et à te payer de raison.


javotte

Me payer de raison ! Belle proposition à faire à une femme !


roger

Je n’en ai pourtant pas de meilleure.


javotte

Est-ce là ton dernier mot ?


roger

Oui.


javotte, à part

Puisque rien ne peut le toucher, faisons semblant de nous évanouir petit-à-petit... Haut. Roger... je me trouve mal.


roger

Air : À la façon de Barbari

Voir la partition
Informations sur cet air

Quoi ! Tu veux donc mourir aussi,
Biribi,
À la façon de Barbari
Mon ami ?
javotte

Oui. C’en est fait... Adieu, Roger.


Elle tombe sur le gazon.
Duo
roger

Air : Vous, amants que j’intéresse


Non, tu n’es pas assez sotte ;
Non, non, ma chère Javotte,
Non, tu n’es pas assez sotte,
Pour mourir pour tout de bon.
javotte
Crois que ta chère Javotte
Va mourir pour tout de bon.
roger, à part
Fumeron ! Ordre funeste !
javotte
Va, cruel, je te déteste.
roger
C’est pour jouer de ton reste,
Et pour me faire la loi.
javotte
Moi !
roger
Toi.
ensemble, ensemble
roger
Non, tu n’es pas assez sotte ;
Non, non, ma chère Javotte,
Non, tu n’es pas assez sotte,
Pour mourir pour tout de bon.
javotte
Crois que ta chère Javotte
Va mourir pour tout de bon.
À la fin de l’air, Javotte laisse tomber sa tète sur le gazon, et ne parle plus. Roger, après un instant, se retourne et parle.
roger

Mais cependant si c’était vrai.... Qu’est-ce que je risque de la regarder ? Suis-je un basilic ? Mes yeux ne la tueront pas. Il s’approche d’elle. Ma chère Javotte, ouvre les yeux, vois-moi.


Air : Eh ! Riez, riez donc


Et reviens, reviens donc,
C’est Roger qui t’appelle ;
Et reviens, reviens donc,
Ma gentille Tonton.

Elle ne dit mot ! Ô Ciel ! Ce maudit forgeron l’a ensorcelée. Elle est morte !


Air :


J’ai perdu tout mon bonheur,
En s’écriant.
J’ai perdu ma Javotte.

Allons, il faut se tuer, pour sortir d’embarras.


Il sort un couteau de sa poche.

Scène xiii

Javotte, Roger, Céladon

céladon, lui touchant le bras

J’arrive à point nommé pour t’épargner les frais d’un second désespoir ; car ce serait toujours la même chose.


roger

Non, parbleu ! Cette fois-ci j’y allais bon jeu, bon argent.


céladon

Pourquoi donc cette folie ?


roger

Pour varier la scène. Ma femme est morte, que voulez-vous que je fasse ici tout seul ?


javotte, riant

Ah ! Le nigaud, qui donnait là-dedans !


roger

Comment tu n’es pas morte ?


javotte

Eh ! Non vraiment, c’est un semblant.


roger

Ma foi, je croyais que c’était une vapeur lyrique qui t’avait suffoquée.


céladon

Et moi, je vous apportais un dénouement.


javotte

Donnez toujours ; cela ne sera pas de refus.


céladon

Oh ! Non : puisque vous n’êtes pas morte, il ne saurait vous servir.


roger

Pourquoi donc cela ?


céladon

Parce que c’est un dénouement à la moderne. Je ne venais ici que pour faire valoir la vertu de mes secrets ; j’avais même rassemblé tous vos camarades pour les rendre témoins de la cure merveilleuse que j’allais opérer ; mais puisque vous vivez, je n’ai plus que faire ici.


roger

Comment diable ! Il faut donc absolument mourir pour vous rendre nécessaire ?


Scène xiv

Les Précédents, Guilmino accourant

guilmino

Au contraire, vivez, mes amis ; monsieur Fumeron n’avait envie que de se divertir en faisant une petite épreuve. Il voulait voir si un mari aimerait assez sa femme pour entreprendre ce que Roger a fait pour Javotte ; il est content de vous, et vous récompensera l’un et l’autre.


Scène xv

Les précédents, les marmottes et vielleurs, camarades de Roger arrivent

les vielleurs

Ah ! Mon cher Roger !


les marmottes

Ah ! Ma chère Javotte !


céladon

Allons, mes amis, divertissez-vous.


Air : Chœur,

Voir la partition
Informations sur cet air

céladon
Mes enfants,
Dans les plaisirs employons ces moments.
chœur
Mes enfants,
Célébrons ces heureux amans.
roger, à Javotte
Oui, Javotte est dans tes bras.
céladon
Amis, plus de soucis ;
Bannissons d’ici
L’ennui.
Oui, oui,
Mes enfants,
Dans les plaisirs employez, etc.
roger, au public

Air : Vaudeville,

Voir la partition
Informations sur cet air

Sans cesse étudier vos goûts,
Nous conformer à tous,
Ne penser qu’à vous.
javotte, au public
Souvent vous voir amuser parmi nous,
Rien n’est plus doux !
De nos soins c’est le salaire.
roger
Pouvoir remplir tous vos loisirs,
Messieurs, c’est notre unique affaire.
ensemble, ensemble
Vous charmer et vous plaire,
C’est le but de nos désirs.bis
Reprise du Chœur de L’Amoureux de quinze ans
céladon
Qu’il est doux
De réussir à contenter vos goûts !
chœur
Qu’il est doux
De vous voir amuser chez nous !
roger
Ailleurs on voit de grands traits.
javotte
Ici de simples portraits.
chœur
Heureux,
Si, par nos jeux,
Nous chassons d’ici
L’ennui.
Oui, oui, oui ;
Qu’il est doux
De réussir à contenter vos goûts !
Fin

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