La Rupture du Carnaval et de la Folie

Auteurs : Fuzelier (Louis)
Parodie de : Le Carnaval et la Folie de La Motte et Destouches
Date: 6 juillet 1719
Représentation : 6 juillet 1719 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien, t. II, Paris, Briasson, 1731
Louis Fuzelier

La Rupture du Carnaval et de la Folie


Parodie du ballet des Amours du Carnaval et de la Folie
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 6 juillet 1719
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
definitacteur, l’amour amour
definitacteur, l’officier officier

Acteurs


La Folie
L’Amour
Le Carnaval
Psyché
Momus
Arlequin, confident du Carnaval
Le Léthé
Un Officier, des gardes de la Folie
Suivants de la Folie, dansants et chantants
La scène est dans les jardins d’Hébé.

La Rupture du Carnaval et de la Folie

Le théâtre représente les jardins ornés pour le triomphe de la Folie.

Scène i

la folie, momus

momus

Oui, très puissante déesse, séduisante Folie, ne craignez pas que Momus vous abandonne ; j’ai ma foi un trop grand intérêt à rester dans votre cour. Médire est mon unique talent, et je trouve avec vous de quoi l’exercer sans relâche.


la folie

Oh ! Vous n’y êtes pas, Seigneur Momus, vous n’y êtes pas.


momus

Comment donc, quelle nouvelle occupation me destinez-vous ? J’espérais que vous me donneriez enfin quelque trêve ; car depuis que vous fréquentez le Théâtre Lyrique, vous ne parlez que par sentences réfléchies, et même graves.


la folie

La gravité n’est-elle pas de mon apanage ?


momus

C’est un reproche que les gourmets d’esprit n’ont pas laissé tomber. Ils trouvent, dit-on, la Folie trop sage.


la folie

Oh ! Ces gourmets-là n’ont pas le goût sûr. Quelle plus forte preuve d’extravagance pouvais-je leur fournir, que de débiter de la métaphysique à l’Opéra ?


momus

Cette preuve est incontestable : rien n’est plus digne de vous, que de réduire la métaphysique en ariettes, et la morale en rigaudons.


la folie

Fi, je ne veux plus chanter, je renonce à la musique.


momus

Vous lui avez pourtant bien de l’obligation : elle peuple votre empire de bons sujets.


la folie

Oh çà, Momus, je compte aujourd’hui sur vous. Je veux dans une heure au plus tard recevoir les hommages de tous ceux qui suivent mes lois.


momus

Et dites-moi, s’il vous plaît, où vous prétendez faire cette cérémonie-là ? Les plaines de Grenelle, de Saint-Denis et des Sablons jointes ensemble, ne contiendraient pas la cent millième partie de vos fidèles sectateurs. Appararemment ils viendront vous saluer par députés.


la folie

Assurément.


momus

Le cortège ne sera encore que trop nombreux. Mais, Déesse, à quelle intention étalez-vous aujourd’hui cette pompe ?


la folie

Oh ! J’ai des vues, Seigneur Momus, j’ai des vues.


momus

Ce ne sont sûrement pas des vues éloignées.


la folie

Oh ! Non, elles sont prochaines, très prochaines, on ne peut pas plus prochaines. Je veux me marier.


momus

Vous voulez vous marier ! Le Carnaval sera donc bien content ?


la folie

Ce n’est plus le Carnaval que je veux épouser, je ne m’accomoderais point du tout d’un mari qui reste si longtemps à table.


momus

Surtout le soir. Oh que vous faites bien de planter là le Carnaval. Je ne sais comment vous avez pu aimer un seul moment ce cochon-là ! Qui diable avait pu vous donner un pareil amant ? Pour moi, je trouve que le Carnaval ne doit tout au plus charmer qu’une pâtissière.


la folie

Que dites-vous ? Le Carnaval est devenu un petit Céladon.


momus

Ah ! Lorsqu’il vous récite langoureusement,


Tu vois dans ce jardin cette eau suivre son cours ;
Nos soupirs s’y mêlaient au murmure de l’onde.

On est bien étonné de l’entendre citer les arbres, les rochers et les échos, lui qui avant de s’aviser d’être si tendre, ne parlait que de boudins et de petits pâtés.


la folie

Au moins, je vous fait aujourd’hui mon maître des cérémonies, et mon confident.


momus

Bon. Je vous verrai tantôt en masque, et tantôt à visage découvert. Commençons par exercer ma charge de confident, et ne faisons pas la bévue de traiter les affaires avant le plaisir. Allons, apprenez-moi qui est l’Adonis à taille légère, à qui vous sacrifiez l’embonpoint du Carnaval ?


la folie

C’est un dieu qui me convient, c’est l’Amour.


momus

L’Amour ? et vous aime-t-il ?


la folie

S’il ne m’aime pas, il m’aimera. Adieu, Momus, adieu.


momus

Où allez-vous donc ?


la folie

Je ne sais.


Scène ii

momus seul

momus

Voilà une déesse bien tendre et bien occupée de ce qu’elle aime... Elle se flatte pourtant que Cupidon répudiera Psyché pour elle... Mais pourquoi non ?... L’Amour et la Folie sont assez faits l’un pour l’autre... Il est étonnant qu’ils ne se soient pas plus tôt avisés de s’aimer ! Ma foi, si le fils de Vénus s’adonne ici, je me garderai bien d’en user avec lui comme avec le Carnaval, il ne faut pas se frotter à ce méchant enfant-là. Mais quel bruit entend-je ? Sans doute, messieurs les Députés des fous s’assemblent : que d’habits différents nous allons voir ! Si les troupes de la Folie avaient un uniforme, il ne faudrait presque plus faire de drap que d’une seule couleur.


Scène iii

momus, un officier des gardes de la folie

officier

Seigneur Momus...


momus

Qui êtes-vous ?


officier

Officier des gardes de la Folie. Elle m’a ordonné de prendre aujourd’hui l’ordre de vous.


momus

Me voilà dans les honneurs ! Eh bien, Monsieur l’Officier, quel bruit viens-je d’entendre ici près ? Qui le cause ?


officier

Des rebelles qui ne veulent pas assister au triomphe de la Folie ; c’est la Raison qui les débauche.


momus

Ce ne sera rien. Les révoltes que la Raison excite dans l’Empire de la Folie ne sont pas dangereuses, et les révoltés rentrent bientôt dans leur devoir. Mais qui sont ces rares séditieux-là ?


officier

Il y a d’abord un vieux philosophe péripatéticien.


momus

Un philosophe péripatéticien ? qu’on ne le laisse pas aller, diable ! Son maître Aristote a formé les plus illustres fous de l’univers, à commencer par Alexandre le Grand.


officier

J’ai fait arrêter aussi une figure d’une taille allongée, et d’un teint jonquille, qui s’appelle M. de la Griffe.


momus

M. de la Griffe ! Voilà un nom d’huissier.


officier

C’est pourtant un poète, qui dit hautement qu’il veut exterminer la Folie, dans son plus fort retranchement.


momus

Un poète qui veut exterminer la Folie ! Il veut donc commettre un matricide ?


officier

Il a entrepris de faire des opéras raisonnables.


momus

Voilà une entreprise de Dom Quichotte ! Un opéra raisonnable, c’est un corbeau blanc, un bel esprit silencieux, un Normand sincère, un Gascon modeste, un procureur désintéressé, enfin un petit-maître constant, et un musicien sobre.


officier

Où placerai-je dans la marche du triomphe de la Folie ce faiseur d’opéras raisonnables ?


momus

Qu’on lui donne le pas sur ceux qui en font d’extravagants.


officier

J’ai encore là un médecin qui se vante de guérir tous les maux passés, présents et à venir, avec une liqueur, que des ignorant prendraient pour de l’eau de la Seine.


momus

Ce ne serait peut-être pas là une méprise, ce ne sont ma foi pas les porteurs d’eau qui tirent le meilleur parti de la rivière.


officier

Que ferais-je de ce médecin-là ?


momus

S’il a bien des pratiques, il faut le relâcher, allez. Seul. Ce n’est peut-être pas fou que de vendre une pareille marchandise. Est-il un magasin de liqueurs plus intarissable que la rivière ?... Mais j’aperçois le Carnaval avec Arlequin. Ils paraissent ivres tous les deux, tel maître, tel valet. Ne perdons pas une si belle conversation.


Scène iv

momus, lecCarnaval ivre, arlequin ivre, tenant une bouteille et un verre

le carnaval

Air : Que je chéris, mon cher voisin

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Informations sur cet air

Bacchus, laisse-moi soupirer.
Il fait un hoquet.
arlequin
Amour, laisse-moi boire.
Il boit.
le carnaval

Mais quoi, aimerais-je toujours la Folie qui se rit de mes plus tendres soupirs ? Il fait un hoquet. Buvons.


Air : Réveillez-vous, belle endormie

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Buvons pour oublier l’ingrate,
Le vin est le plus sûr secours.
arlequin

Oui, buvons. Il boit.


le carnaval

Allons chercher Momus.


momus

Le voilà tout trouvé. C’en est donc fait, Seigneur Carnaval, vous voulez recourir à Bacchus ; il me paraît que vous lui avez adressé déjà plus d’une antienne.


arlequin

Nous l’avons prié avec ferveur dès le matin.


momus

Puisque vous le priez si matituneusement, je veux vous apprendre une invocation nouvelle. Écoutez, M. le distrait, Au Carnaval.


Air : Tu croyais, en aimant Colette

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Éteins mes feux, brise ma chaîne,
Dieu du vin guéris ma langueur ;
Et pour me venger de ma peine,
Viens noyer l’Amour dans mon cœur.
arlequin

Si l’Amour n’est pas encore noyé, il faut qu’il sache bien nager.


momus, au Carnaval

Allons, apprenez donc votre antienne.


Il chante, sur l’air précédent :
Éteins mes feux, brise ma chaîne...
Arlequin arrache une saucisse de la ceinture du Carnaval, qu’il mange.

Que fais-tu donc là, gourmand ?


arlequin, mangeant

Je brise sa chaîne ! Morbleu, qu’elle est salée !


momus

Bon, voici la Folie, nous allons avoir une scène bien passionnée.


Scène v

la folie, momus, le carnaval, arlequin

la folie, au Carnaval qui fait un hoquet
airvide
J’entends votre cœur soupirer,
De l’excès de votre martyre ;
Goûtez, si vous voulez, le plaisir d’en pleurer,
Mais laissez-moi celui d’en rire.
le carnaval
airvide
Je dégage mon cœur, et je vous rends le vôtre.
arlequin

Pour le mien, je ne sais pas trop ce que j’en ferai.


la folie
airvide
C’en est donc fait, tu n’es plus sous ma loi.
Ingrat, tous tes serments sont autant de parjures.
arlequin, chante

Fin de l’air : Robin turelure

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Informations sur cet air

Robin turelure lure.
la folie, au Carnaval

Suite de l’air :


Si j’avais outragé ta foi,
Qui t’empêchait, cruel, d’éclater en murmures ?
Il fallait m’accabler d’injures,
\c C’aurait été du moins te souvenir de moi.
momus, au Carnaval

Et allons, évertuez-vous, que n’appellez-vous Madame, carogne, salope, chienne... fi, vous ne savez pas aimer.


le carnaval, à la Folie

Pour me venger de vous, je viens, avec le secours des Aquilons, de casser tous les pots à fleurs des jardins de la Jeunesse votre mère.


arlequin

Et moi, sans le secours du moindre vent coulis, j’ai cassé les lunettes du bonhomme Plutus votre papa mignon.


la folie, riant

Parce qu’ils consentaient tous les deux à notre mariage, vous brisez leurs meubles... Ah ! Ah ! Ah ! Vous les punissez de mes refus... Ah ! Ah ! Ah !


momus

Le Carnaval boit volontiers. Quand on est ivre on fait tapage.


la folie
airvide
Puisqu’il se venge, il m’aime encore.
le carnaval

Hélas, vous oubliez donc tout ce que vous m’avez dit de tendre l’autre jour à l’Opéra ?


la folie

Ce n’étaient que des chansons. Mais vous-même, Monsieur l’enluminé, vous oubliez que tant pour vous effacer de mon cœur, que pour adoucir l’incarnat de votre physionomie, je vous conseillai de prendre de certaines eaux...


momus

Ah ! Ah ! Monsieur le Carnaval.


Air : Réveillez-vous, belle endormie

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Informations sur cet air

L’eau vous est un fâcheux remède,
Vous n’en aurez pas pris assez.
arlequin, lui remplissant son verre

Eh bien ! Prenez du vin.


le carnaval, prenant le verre plein et faisant un hoquet

Je crève...


momus

D’indigestion.


le carnaval

Hélas !


momus

Air : Mon père je viens devant vous

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Informations sur cet air

Au milieu même des festins,
Il sent son désespoir s’accroître.
le carnaval, laissant tomber son verre

Je n’en puis plus.


momus

Même air


Le verre lui tombe des mains,
L’Univers va le méconnaître.
la folie, à Momus

De grâce, emmenez ces deux ivrognes-là.


arlequin

Nous sommes des ivrognes, il est vrai, mais nous avons le vin tendre. Il fait un hoquet.


momus, au Carnaval

Allons, mon ami, laissez-là une ingrate, allons.


arlequin, d’un ton fâché

Oui, mon cher Maître, allons...


Il chante.

Fin de l’air : Nanon dormait

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Informations sur cet air

Allons, allons à la Guinguette allons.

Scène vi

la folie seule

la folie

Je suis charmée de ce que ce gros glouton de Carnaval m’aime encore si violemment, cela me fortifie dans l’indifférence que j’ai pour lui... Mais que vois-je ? C’est l’Amour lui-même ! Il ne sait pas encore que je l’aime... Comment lui ferais-je ma déclaration ? Comment ! Ah ! Ah ! Ah ! Il devinera bientôt mon secret. L’Amour est pénétrant et la Folie n’est pas dissimulée.


Scène vii

la folie, l’amour

la folie

Bonjour, aimable fils de Vénus. Arrivez-vous de Cythère ?


amour

Bon de Cythère ! Il y a longtemps que j’en suis déménagé. Les bâtiments de Paphos sont trop antiques... trop mal distribués... point de cabinets équivoques, point d’escaliers dérobés... Oh ! vive l’architecture commode de mes temples de Passi, et du Moulin de Javelle.


la folie

Vous ne vous plaisez donc plus dans les riches appartements d’Amatonte ?


amour

J’ai pris les allures grenadières du dieu Mars, depuis qu’il s’est amouraché de ma chère maman, tout m’accomode, lit de camp, bottes de paille, gazon, je ne suis plus difficile à coucher.


la folie

Il faut convenir que l’Amour s’est bien perfectionné.


amour

C’est une bonne école que les garnisons ! Tenez, je m’y suis défait de tout ce verbiage que je débitais dans les ruelles galantes du temps de Clélie, et de Cyrus. Je suis devenu laconique comme un caissier à qui on demande de l’argent.


la folie

Vous répondez oui aussi promptement qu’il dit non.


amour

C’est la vérité. Mais si je parle moins, je gesticule davantage.


la folie

Vous ne pouvez gesticuler qu’avec grâce : gesticulez charmant Amour, gesticulez.


amour

Peste ! Vous vous connaissez en style ! Vous savez que les gestes sont moins trompeurs que les paroles...


la folie

L’Amour ne peut s’expliquer trop clairement.


amour

Oh ! pour clair, je le suis à présent : en voulez-vous un exemple ? Écoutez. Je n’aime plus ma femme Psyché, et c’est vous charmante Folie qui l’effacez dans mon cœur... hem, cela est-il clair ?


la folie

Je n’aime plus le Carnaval, et c’est vous qui me dégoûtez de ce piffre-là : hem, suis-je aussi claire que vous ?


amour

Si nous continuons sur ce ton-là, notre roman ne sera pas long.


la folie

Oh çà, nous voilà d’accord, il faut nous marier ensemble. Comment vous déferez-vous de Psyché ?


amour

Comment je m’en déferai ? Voilà une belle affaire, ma foi. Vous savez que l’Hymen est mon frère, tantôt aîné, tantôt cadet...


la folie

L’Amour ne vient pas souvent après l’Hymen.


amour

Ne vous inquiétez pas des nœuds de l’Hymen. Quand je ne les romps pas tout à fait, je les desserre si bien qu’un époux à qui je rends ce petit service-là, se croit sans ceinture. Il quitte sa femme comme une robe de chambre.


la folie

Les pleurs de Psyché vous attendriront...


amour

Moi, m’attendrir aux pleurs de ma femme ! Me prenez-vous pour un bourgeois ?


la folie

Que dira Vénus ?


amour

Ma mère est vraiment une jolie mignonne pour se mêler de ma conduite !


la folie

Voilà comme je pense. C’est assez que Plutus et la Jeunesse approuvent un mariage pour qu’il me déplaise.


amour

La peste ! Je n’imiterai pas ce benêt de Carnaval qui s’est avisé d’aller vous demander en mariage à votre famille, comme un galant de la rue Saint-Denis.


la folie

Il ne faut me demander qu’à moi-même...


amour

Si l’on suivait cette méthode-là, il n’y aurait pas tant de malingres dans le régiment des épouseurs ; et si les belles en étaient les commissaires, elles casseraient bien des soldats à chaque revue.


la folie

Adieu, charmant Amour.


amour

Vous me quittez dans le moment le plus tendre.


la folie

Je vais à ma toilette.


amour

Eh ! Pourquoi ? Je ne vous trouve que trop aimable...


la folie

Oh ! Cela ne suffit pas. Vous savez que je tiens aujourd’hui cour plénière, j’ai ordonné la fête exprès pour vous, et cependant je veux y charmer jusqu’au moucheur de chandelles.


Scène viii

l’amour seul

amour

Voilà le cœur féminin tout pur ! Le caractère naïf des belles ! La tendresse d’un dieu qu’elles aiment ne les dédommage pas de celle que leur refuse un mortel qu’elles méprisent... Mais j’aperçois ma femme Psyché... Ne me voilà pas mal, je vais essuyer une longue harangue de ménage.


Scène ix

l’amour, psyché

psyché

Qu’ai-je appris, perfide Cupidon ? Vous me trahissez ; on dit que vous voulez me répudier.


amour

On dit, on dit... Quelle commère vous a fait ces histoires-là ?


psyché

C’est votre grand-mère Cybèle.


amour

Ma grand-mère radote, et vous aussi.


psyché

Je radote ! Je radote ! Quelle façon de parler ! Est-ce là le langage que vous teniez quand j’étais fille ?


amour

Quand vous étiez fille... j’étais garçon, moi. Voudriez-vous qu’un mari fît avec sa femme du récitatif d’opéra ?


psyché

Le scélérat ! Il se moque de moi !


amour

Ma foi, Madame Psyché, si vous m’en croyez, nous nous séparerons sans bruit...


psyché

Qu’entend-je ? Nous séparer !


amour

Eh ! Pourquoi non ? Quand on ne se trouve pas bien ensemble, il faut prendre son parti. Vous dites que vous ne pouvez plus demeurer avec moi, et moi je suis commode, je vous permets de vous retirer.


psyché

Quelle noirceur ! Ô Ciel ! Le traître veut me faire accroire que c’est moi qui demande à le quitter !


amour

Ne faisons pas rire le public et gagner les procureurs. Puisque vous voulez absolument nous séparer, séparons-nous sans plaider.


psyché, avec emportement

Oh ! Je plaiderai, je plaiderai ; nous verrons beau jeu. Je solliciterai, je suis jeune, je solliciterai et vivement, et vivement. Nous serons jugés, nous serons jugés, bien ou mal, nous serons jugés.


amour, riant

Ah ! Ah ! Ah ! Parbleu pour une déesse, vous ne savez guère les moyens de vous venger d’un mari ! Ne sauriez-vous être coquette sans faire tout ce vacarme-là ? Mars vous lorgne, c’est un grand brunet qui est assez bien tourné, qui porte la perruque naturelle, et qui, de plus, a le toupet.


psyché

J’ai bien affaire de son toupet.


amour

Il a plu à ma mère, et ma mère est connaisseuse. On peut acheter un galant qu’elle a marchandé.


psyché

Hom, elle n’a pas trop marchandé le dieu Mars. Allez, je n’ai que faire des restes de Vénus.


amour

Ce dégoût est gourmand.


psyché

Que voulez-vous dire ?


amour

Ce que vous pensez. Qu’on ne fait pas grande chère, lorsqu’on se met à table après des personnes qui ont bon appétit.


psyché

Quel discours !


amour

Ah ! J’ai trouvé votre affaire. Vous qui êtes une doucereuse, ménagez-vous la tendresse d’Apollon. Il vous servira tous les matins un petit bouillon de madrigaux ; s’il vous meurt un perroquet, il en fera l’épitaphe ; si vous mariez votre bichon, il en fera l’épithalame. Il composera des vers marotiques sur vos yeux, sur votre gorge, sur votre... enfin vous serez rimée depuis la tête jusqu’aux pieds.


psyché, elle s’évanouit

Je n’y puis plus tenir... Je me meurs.


amour, la retenant

Je crois qu’elle s’évanouit exprès pour se trouver encore dans mes bras... Qu’elle me paraît pesante ! hé, quelqu’un, Borée ou Zéphyr, apportez un siège, un fauteuil de gazon.


Un Zéphyr apporte un gazon.

Scène x

l’amour, psyché évanouie, momus

momus, chante

Air : Ne m’entendez-vous pas

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Informations sur cet air

Que vois-je ? De ses sens
Elle a perdu l’usage.
amour

Fort bien ! Allez-vous à l’exemple de Pelée psalmodier deux heures aux oreilles d’une femme évanouieFort bien ! Allez-vous à l’exemple de Pelée psalmodier deux heures aux oreilles d’une femme évanouie\footnote Pelée dans l’Opéra d’Alcione, s’amuse à faire de longues plaintes pendant que sa maîtresse se meurt, sans songer à la secourir. ? Ces héros d’Opéra prennent, je crois, leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie. ? Ces héros d’Opéra prennent, je crois, leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie.


momus

Ouais, il me semble que l’Amour fait mon métier. Il plaisante.


amour

Cher Momus, j’implore ici votre secours...


momus

Mais je n’ai sur moi ni eau de mélisse ni gouttes d’Angleterre.


amour

Vous prenez à gauche, mon cher Momus. Ce n’est pas la santé de ma femme qui m’embarrasse, c’est son amour : ne pourriez-vous pas m’en délivrer ?


momus

Malepeste ! Quand une femme s’avise d’aimer son mari, comme elle ne le fait qu’en connaissance de cause, on a bien de la peine à l’en dégoûter. Cependant... Il rêve. Écoutez... Oh ! M’y voilà. Le fleuve Léthé est mon ami... J’y suis ma foi. Allez trouver votre chère Folie, laissez-moi ici, je vais guérir Psyché de ses préjugés bourgeois, et lui faire oublier jusqu’au premier jour de ses noces.


Scène xi

momus, le léthé

momus

Ô vous pacifique Léthé, qui dormez sur votre urne, au fond des Enfers, réveillez-vous à ma voix et apportez-moi une petite potée de votre eau favorable.


le léthé, sortant d’une trappe et bâillant

J’obéis avec joie aux ordres de Momus, quoiqu’il m’ait arraché des bras du sommeil où je me trouve si bien.


Il s’endort debout.
momus

Réveillez-vous donc, dormeur éternel, fleuve plus lent que la Saône, père des distractions et des balourdises, l’Amour a besoin de votre eau.


le léthé

De mon eau ? Et à quoi est-elle bonne ?


momus

Ah ! Que vous êtes bien le dieu de l’oubliAh ! Que vous êtes bien le dieu de l’oubli\footnote Cette pièce-ci a été faite longtemps avant celle du fleuve d’oubli, ainsi qu’on ne croie pas que cette tirade en soit prise. ! ! Donnez-moi de cette liqueur merveilleuse qui opère tant de prodiges et qui est la plus redoutable ennemie de la mémoire : en buvant seulement un verre de votre eau, on ne se souvient plus de rien. Il faut qu’on en débite furieusement à Paris, car on n’y voit que des amants qui oublient leurs maîtresses, des financiers qui oublient leur naissance, des petits-maîtres qui oublient leurs dettes, des barbons qui oublient leur âge, des Normands qui oublient leurs promesses, des Gascons qui oublient leur bourse quand ils vont en emplettes, et enfin je crois qu’on fait à présent de la limonade avec votre eau et qu’on en abreuve en été tout le public, car il oublie très fort les Comédiens Italiens, et moi je prends part à leur indigence.


le léthé

Je vous proteste que j’y prends part aussi.


momus

Oh ça, il s’agit de faire oublier un mari à sa femme.


le léthé

Se peut-il qu’on ait besoin des eaux du Léthé pour cela ?


momus

Où est la petite potée d’eau fraîche que je vous ai demandée ?


le léthé

Je... je... Je vais la quérir.


Il descend par une trappe.
momus

Fort bien. Il fera, je gage, dix fois le voyage des enfers avant que d’apporter ce que je lui demande. Heureusement, les dieux font bien du chemin en peu de temps... Bon, Psyché est encore évanouie, je lui ferai boire de l’eau du Léthé sans qu’elle s’en aperçoive.


le léthé, revenant par une autre trappe et présentant le pot le cul en haut

Tenez, voilà le pot.


momus, apostrophant le Léthé

Et voilà la cruche. Peste du butor, il m’apporte le pot sans l’eau !


le léthé

Si j’y retourne, j’apporterai l’eau sans le pot.


momus

J’aurai plutôt fait de descendre là-bas moi-même, attendez-moi ici.


Il descend par la trappe.
le léthé

Bon voyage, Seigneur Momus, faites mes compliments à Proserpine... Ah ! Ah ! Voici une belle dormeuse...


Il chante.

Air : Réveillez-vous, belle endormie

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Informations sur cet air

Réveillez-vous, belle endormie,
Réveillez-vous, car il est nuit...
momus, revenant et tenant une bouteille

Oh ! pour le coup Psyché oubliera l’Amour, je tiens de la véritable eau du Léthé. Employons-là utilement.


Scène xii

psyché évanouie, momus, le léthé, le carnaval

momus

Mais j’aperçois le Carnaval. Qu’il a le teint allumé !


le carnaval

Que faites-vous là ?


momus

Une belle cure, une cure très rare ; nous guérissons une femme de l’amour qu’elle a pour son mari. On voit peu de ces maladies-là. Allons, belle Psyché, buvez un bon verre de cette eau-là.


psyché, se levant

Où suis-je ? Que vois-je ? En riant. Ah ! Ah ! C’est le Carnaval. \did Au Carnaval. Où y a-t-il bal ?


le carnaval, prenant la bouteille

Laissez-moi avaler quelques gouttes d’eau, et puis je vous répondrai ; je viens de manger un gros saucisson en pestant contre l’ingrate Folie, cette cruelle que je ne saurais oublier...


le léthé

Avez-vous mangé le saucisson tout entier ?


le carnaval, après avoir bu

Me voilà bien rafraîchi. Ah ! Belle Psyché que vous êtes aimable ! Je ne vous ai jamais vue si piquante.


psyché

Je ne vous ai jamais vu si gai, vous.


momus, à Psyché

Mais l’Amour est enchanté de la Folie.


psyché

Cela est naturel.


momus, au Carnaval

Il veut l’épouser.


le carnaval

J’y consens.


le léthé

Voilà des esprits bien faits.


momus, à part

Et bien guéris de leur entêtement. Le Léthé n’aura pas étalé ici son magasin de liqueurs pour quelques misérables matelotsEt bien guéris de leur entêtement. Le Léthé n’aura pas étalé ici son magasin de liqueurs pour quelques misérables matelots\footnote Il n’opère cela que dans le Ballet.. À présent, l’Amour et la Folie peuvent se voir en sûreté. Mais ce n’est pas tout, il faut leur cacher leur bonheur pour le faire durer ; je les connais, ils sont d’humeur française ; ils cesseront de s’aimer, s’ils ne sont plus gênés. \did À Psyché et au Carnaval. Écoutez Psyché, et vous Monsieur le nouveau buveur d’eau, gardez-vous bien de montrer votre indifférence à l’Amour et à la Folie, ils ne manqueraient pas de vous persécuter. Écoutez Psyché, et vous Monsieur le nouveau buveur d’eau, gardez-vous bien de montrer votre indifférence à l’Amour et à la Folie, ils ne manqueraient pas de vous persécuter.


Scène xiii

psyché, le carnaval, momus, le léthé, l’amour et la Folie

momus, à l’Amour et à la Folie

Tenez, voilà le Carnaval et Psyché qui sont au désespoir de votre intelligence.


Le Carnaval et Psyché affectent des airs tristes en regardant l’Amour et la Folie, et ensuite se regardent en riant.
la folie

Tant mieux, tant mieux. Ah ! S’ils pouvaient pleurer, que je rirais.


amour, à Psyché

Croyez-moi, ma bonne, prenez votre parti. Rien ne sied plus mal à une Déesse que d’être jalouse de son mari : dussiez-vous en jurer, je prétends dès ce soir faire lit à part...


momus

Lit à part ! Quel effroyable mot pour les oreilles d’une jeune mariée ! Allons, qu’on ne s’occupe plus que de la fête préparée pour l’aimable Folie. Je conseille au Carnaval de rester avec nous, car il serait bien triste sans la Folie ; vous, ses aimables et comiques sujets, avancez, venez chanter sa gloire, et entendre ses leçons.


arlequin
airvide
Son professor di pazzia,
Volatè Scholari.

Scène xiv

les acteurs précédents, troupe des sujets de la folie dansant et chantant, astrologue, poète, soldats, matelots tous la marotte à la main

On ouvre une ferme qui laisse paraître un arc de triomphe dressé en l’honneur de la Folie, on voit un second orchestre placé sur des gradins de verdure.
Un suivant de la Folie
airvide
Folâtrons, divertissons-nous,
Charmants plaisirs, volez, rendez heureux les fous ;
C’est faire le bonheur du monde.
Si la Raison murmure et gronde,
Rions-en tous.
Folâtrons, divertissons-nous,
Charmants plaisirs, volez, rendez heureux les fous ;
C’est faire le bonheur du monde.
vaudeville
airvide
1
Victime de l’usage
Dupe d’un Médecin,
Que le Séné saccage,
Et qui fuyez le bon vin,
Vous croyez être sage,
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Le plaisant personnage,
Le maître-fou que voilà.
2
Vous qui d’un héritage,
Que la plume à la main
Un Procureur fourrage ;
Chicanez bien le terrain.
Vous croyez être etc.
3
Vous qui dans l’esclavage
Tenez votre motié,
Mari triste et sauvage,
Votre soin me fait pitié.
Vous croyez etc.
4
Toi qui mets en ménage
Quelque jeune beauté
D’Hymen dans son image
Tu vois la fidélité.
Tu crois donc être sage, etc.
5
Vous qui pour tout ouvrage
Ne vaut pas un denier,
Et qui faites tapage
Satirique Chaudronnier.
Vous croyez etc.
Fin

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